Photo: Pêche au harpon de l’achigan à petite bouche, une espèce envahissante, dans le lac Clear à Noozaawinijing, ou Wagiiwing, au Manitoba. Un programme de la Première Nation des Ojibway de Keeseekoowenin et de Parcs Canada.
Source: Parcs Canada
Les espèces aquatiques envahissantes menacent les valeurs naturelles et culturelles des rivières du patrimoine. Elles peuvent concurrencer les espèces indigènes et endommager les paysages culturels. Les changements climatiques augmentent le risque d’invasions par des espèces non indigènes et réduisent l’efficacité de certaines stratégies de gestion. Comment pouvons‑nous atténuer les risques que les espèces aquatiques envahissantes font peser sur les rivières du patrimoine à mesure que le climat change?
La conférence internationale de 2024 sur les espèces envahissantes et les changements climatiques s’est tenue en janvier. Elle a été organisée par la North American Invasive Species Management Association. Cet article résume certaines des dernières recherches présentées lors de la conférence et explique comment elles peuvent s’appliquer aux rivières du patrimoine.
Comment les changements climatiques influencent‑ils les invasions?
Les changements climatiques ont des effets sur les cycles hydrologiques et modifient les régimes des sécheresses et des crues. Les espèces envahissantes sont parfois plus résistantes aux changements de ces régimes que les espèces indigènes. Par exemple, le roseau commun (Phragmites australis) peut résister à la fois à des conditions sèches et humides, ce qui signifie qu’il peut survivre à une inondation soudaine dans un habitat sec ou à une sécheresse soudaine dans un habitat humide. D’autres espèces originaires de ces habitats pourraient ne pas survivre à ces changements importants. Dans de telles circonstances, le roseau commun peut s’emparer de l’habitat qui était autrefois occupé par des espèces indigènes.
Légende: Roseau commun (Phragmites australis) envahissant une baie.
Source: Parcs Canada
Les températures plus chaudes permettent aux espèces d’envahir des zones qui étaient auparavant trop froides pour qu’elles puissent y survivre. De même, les espèces envahissantes qui sont déjà présentes au Canada, mais qui ne posent pas encore de problème, pourraient devenir plus difficiles à gérer avec des températures plus élevées. Les populations de ces espèces envahissantes sont appelées « populations dormantes ». Par exemple, en 2014, les chercheurs Lavery et coll. ont déterminé que l’algue Didymo (aussi surnommée « rock snot » en anglais, ou « morve de roche ») se retrouve dans un lac de l’est du Québec depuis les années 1970 en faible abondance. À mesure que la température de l’air a augmenté dans les années 1990, elle a commencé à se multiplier et à menacer la pêche locale de salmonidés. D’autres populations dormantes pourraient se trouver dans les rivières du patrimoine.
Comment les changements climatiques influencent‑ils la gestion?
Les changements climatiques peuvent influencer la façon dont les plantes envahissantes réagissent aux herbicides. Par exemple, certains produits chimiques sont moins efficaces lorsque les températures sont plus chaudes ou que le taux de dioxyde de carbone atmosphérique est plus élevé. Alors que les progrès scientifiques permettent de trouver des solutions à ces nouveaux défis de gestion, il est toujours important de s’en tenir aux principes de base. La pratique consistant à nettoyer, vider et faire sécher les bateaux et l’ensemble de l’équipement (p. ex. bottes-pantalons, pagaies) avant de se diriger vers une nouvelle voie navigable reste une technique efficace pour prévenir la propagation des espèces aquatiques envahissantes.
Légende: Nettoyer, vider et faire sécher demeure une étape cruciale pour prévenir la propagation des espèces aquatiques envahissantes.
Source: Parcs Canada
Une autre tactique consiste à améliorer nos méthodes de détection. La détection précoce permet de réduire le recours aux méthodes de contrôle chimique. Une équipe de l’Université d’Hawaï à Mānoa a constaté que le recours à la science citoyenne augmentait considérablement l’efficacité de son programme de détection. Auparavant, quatre à cinq employés à temps plein parcouraient l’île à la recherche de nouvelles plantes envahissantes et trouvaient en moyenne huit plantes envahissantes par an. Leur nouveau programme de surveillance s’appuie sur iNaturalist, une application qui permet aux habitants d’enregistrer les espèces qu’ils observent sur leur propriété ou dans les espaces publics. Grâce aux données fournies par les résidents, l’équipe détecte et élimine désormais en moyenne 18 plantes envahissantes par an.
Terminer sur une bonne nouvelle
Dans le marais Delta du lac Manitoba, les carpes envahissantes créaient des nuages de sédiments en cherchant de la nourriture au fond du lac. Par conséquent, la lumière ne pouvait pas pénétrer dans l’eau et les plantes avaient du mal à pousser. En 2013, Canards Illimités Canada a commencé à installer et à entretenir des barrières d’exclusion pour empêcher la carpe d’entrer dans le marais. Même si les tempêtes endommagent parfois les barrières, celles‑ci ont permis de réduire considérablement la population de carpes dans le marais. Par conséquent, le marais reste un habitat important pour les oiseaux résidents et migrateurs.
Canards Illimités Canada a établi des facteurs communs entre le projet du marais Delta et d’autres projets réussis. Il s’agit de 1) bien cerner le problème, 2) collaborer avec des partenaires et 3) sensibiliser en permanence pour obtenir un soutien.
Merci à Canards Illimités Canada et à tous les conférenciers d’avoir partagé leurs connaissances sur les espèces envahissantes et les changements climatiques.
Les renseignements contenus dans cet article proviennent des exposés suivants (en anglais seulment):
- Are they Sleeping? Understanding the possibility of invasive plants in the wake of changing climate (Dorment‑elles? Comprendre le potentiel des plantes envahissantes dans le sillage des changements climatiques) par Ayodele O’uhuru, Ph. D., Université du Massachusetts, Amherst
- Common Threads in Successful Invasive Species Management (Points communs dans la gestion réussie des espèces envahissantes) par Stuart Slattery, Canards Illimités Canada
- Early Detection in Real Time using iNaturalist (Détection précoce en temps réel à l’aide d’iNaturalist) par Molly Murphy, Université d’Hawaï à Mānoa
- Neonatives & Range Shifting Species (Espèces néo‑indigènes et espèces qui changent d’aire de répartition) par Toni Lyn Morelli, Ph. D, United States Geological Survey/Regional Invasive Species and Climate Change (RISCC) Management Network
- Taking Teachings from our Targets: How Storytelling Will Help Shape Invasion Biology in a Changing Climate (Tirer des enseignements de nos cibles : comment la narration contribuera à façonner la biologie des invasions dans un climat changeant) par Jennifer Grenz, Université de la Colombie‑Britannique.